La crise sanitaire, le passe vaccinal, le pic de la cinquième vague et la situation dans les écoles.
Vittoria Colizza, épidémiologiste et directrice de recherche à l’Inserm, Sorbonne
Le passe vaccinal aura-t-il un impact sanitaire?
L’incitation a déjà fonctionné. Les primo-injections sont reparties à la hausse comme ça n’avait pas été le cas depuis longtemps. Elles réduisent de moitié le risque d’hospitalisation, donc avec un fort impact de prévention pour l’individu. La vaccination est indispensable. Les non-vaccinés pèsent de façon disproportionnée sur le système de soins. Trois variants ont dominé la France en un an. Chacun d’eux a mis en difficulté le vaccin, moins efficace face à un virus différent de celui contre lequel il a été conçu. Mais on voit que la dose de rappel booste la protection contre l’infection, qui tend à baisser dans le temps, et renforce celle contre les formes graves.
Pourquoi ne pas aller jusqu’à l’obligation vaccinale?
Les outils à utiliser pour inciter à la vaccination, comme pour les restrictions, dépendent du contrat social entre les autorités et la population, du contexte politique, de la culture d’un pays. En Italie, le gouvernement a instauré l’obligation vaccinale pour les plus de 50 ans, contrôlée par l’employeur. En France, une étude de l’Inserm a estimé que sur les 5 millions de non-vaccinés, deux tiers sont des opposants convaincus et un tiers hésite ou envisage de le faire. Ce sont eux qu’on doit aller chercher.
Une réduction de 20% de nos contacts sociaux diviserait par deux le nombre d’hospitalisations, selon l’Institut Pasteur
Si on était tous vaccinés, il n’y aurait plus de crise?
L’agence de sécurité sanitaire britannique estime que trois doses de vaccin confèrent une protection contre les formes graves autour de 90%. La protection contre l’infection symptomatique est estimée a 70% dans le premier mois après le booster, avec une diminution dans le temps (50% environ après trois mois). Mais des incertitudes persistent sur l’impact sanitaire qu’aura ce pic. D’un côté, on étudie encore ce variant découvert en novembre, il faut un certain temps pour élaborer des estimations avec confiance. De l’autre, cela dépend aussi de nos comportements. Une réduction de 20% de nos contacts sociaux diviserait par deux le nombre d’hospitalisations, selon l’Institut Pasteur.
Concrètement, comment fait-on?
On réduit le nombre de gens que l’on voit au cours d’une semaine ou on limite sa bulle sociale, en côtoyant toujours les mêmes. On évite une fête, un lieu bondé. Et on adopte le télétravail, qui a une vraie efficacité et réduit le risque d’infections. Mais une mesure isolée ne suffit pas.
Avec 24.000 Français hospitalisés, devrait-on s’inquiéter davantage?
Sur les admissions, on vient de dépasser le pic de la troisième vague, celle du variant Alpha au printemps 2021. Mais il faut regarder plusieurs indicateurs. Aujourd’hui, on a deux virus qui impactent de manière différente le système sanitaire et qui se côtoient à l’hôpital. Delta engendre des formes graves et continue à se propager ; les données suggèrent une baisse lente, mais attention, le protocole de criblage a changé donc on aura besoin de plus de temps pour confirmer cette tendance. Le variant Omicron, 90% des cas dans la moitié nord il y a une semaine, entraîne une probabilité de formes graves réduite de moitié par rapport à Delta et raccourcit les séjours en réanimation. La forte couverture vaccinale nous est indispensable. Mais avec un taux d’incidence très élevé, même une probabilité faible donnera lieu à un grand nombre d’hospitalisations. La vigilance s’impose.
Les données de ces derniers jours montrent un ralentissement de la dynamique de croissance, ce qui suggère qu’on est proche du pic de la courbe de cas détectés
Est-on proche du pic de cette vague?
Les données de ces derniers jours montrent un ralentissement de la dynamique de croissance, ce qui suggère qu’on est proche du pic de la courbe de cas détectés, en ligne avec les modélisations de l’Institut Pasteur. La survenue du pic variera selon les Régions. Par exemple, l’Ile-de-France connaît déjà une décrue de la courbe des nouveaux cas, à confirmer dans les jours à venir. De façon similaire, Londres avait anticipé le pic par rapport au reste du pays. On peut s’attendre à une décrue assez rapide, aussi à cause des propriétés du variant Omicron. C’est ce qu’on voit sur les dernières données du Royaume-Uni. Mais la dynamique sera impactée par nos comportements en termes de contacts, de mesures barrière, et d’injections de rappel.
La situation au Royaume-Uni reflète-t-elle encore ce qui se produira chez nous dans une semaine?
C’est sans doute l’exemple le plus proche, avec des différences. La population anglaise a acquis un niveau d’immunité plus élevé, et la couverture en doses de rappel est plus importante. En revanche, les adolescents sont moins vaccinés qu’en France et les enfants n’ont pas encore accès aux injections, même si cela reste minoritaire dans l’Hexagone. Au Portugal, plus de 40% des 5-9 ans vaccinés, comme au Danemark. En Espagne et en Autriche, c’est 20 à 25%.
Face à Omicron, faut-il revoir la stratégie de dépistage?
On a mis le système en tension, mais cette idée qu’il faut changer la politique de surveillance est trop liée au moment spécifique que nous vivons. Quand on passera le pic, ça va se calmer. D’ici là, face aux files devant les laboratoires, on pourrait envisager de tester en priorité les personnes à risque de forme grave ou de complication.
Ce que nous proposons, c’est de tester systématiquement tous les élèves une fois par semaine, deux fois par semaine lorsque l’incidence est élevée
Vous prônez depuis le début un dépistage systématique à l’école. Avec les autotests à répétition, on s’en approche?
Puisque le protocole scolaire reste de type réactif, avec une circulation virale très importante, ce n’est pas inattendu d’avoir une forte demande en tests. Tout cela va accroître la tension sur le système de dépistage et contraint à l’allègement des règles pour éviter de répéter les tests à trop de reprises. Ce système réactif nous condamne à courir après le virus, alors qu’on pourrait tester en prévention de façon plus proactive. La stratégie du dépistage systématique est, d’après nos résultats, plus efficace. Elle réduit la circulation virale, diminue le nombre de cas positifs et de jours d’école perdus. Autre avantage crucial en ce moment : elle permet de planifier la demande en autotests et donc leur stockage.
Espérez-vous enfin être entendue?
En tout cas, il y a un changement. Désormais, tout le monde pratique et connaît les autotests. Ce que nous proposons, c’est de tester systématiquement tous les élèves une fois par semaine, deux fois par semaine lorsque l’incidence est élevée. Les enfants l’accepteront peut-être mieux si c’est planifié. C’est un changement de paradigme dans la gestion du virus à l’école. Et c’est réalisable : l’Autriche le fait depuis début 2021 ; au Royaume-Uni, où les collégiens et lycéens ont deux tests hebdomadaires, le taux de reproduction du virus R à l’école secondaire est resté inférieur à 1 ; en Suisse, dans certains cantons, les petits de maternelle font un test salivaire par semaine ; aux Etats-Unis, près d’un quart de la population scolaire est testée systématiquement… En France, ce protocole serait surtout utile pour les élèves de primaire, très peu vaccinés.
La vague touche massivement les enfants. Cela vous inquiète?
Ce qui m’étonne, c’est de voir ces files d’enfants devant les pharmacies pour se faire tester. Dans d’autres pays, ils font la queue pour se faire vacciner! Aujourd’hui, on voit une hausse des hospitalisations pédiatriques, contre lesquelles la vaccination protège. Et elle a aussi un impact sur les contaminations. C’est un moyen supplémentaire de mettre en sécurité l’école, ce lieu qu’il faut garder ouvert.
Faut-il revenir à la fermeture des classes au premier cas, comme le réclament des syndicats d’enseignants?
On a estimé qu’on va mieux réduire le nombre de cas avec cette option plutôt qu’avec le dépistage réactif actuel. En revanche, on va augmenter largement le nombre de jours de classe perdus.
En extérieur, il faut faire attention dans les lieux bondés ou dans des conditions presque fermées, comme sur certaines terrasses
Les enseignants en école maternelle pourront recevoir des masques FFP2, est-ce utile?
Les expérimentations en laboratoire sur les gouttelettes émises, leur taille et leur aérosolisation ont montré que les FFP2 sont plus efficaces que les autres types de masques. Selon ces études, ils offrent une protection majeure pour le porteur, à condition qu’il le colle bien au visage, et pour les autres.
Le port du masque à l’extérieur est suspendu en Loire-Atlantique, à Paris, dans les Yvelines… A-t-il une utilité face à Omicron?
Il s’agit d’une question de bon sens. Le risque est plus élevé à l’intérieur surtout si on n’aère pas. En extérieur, il faut faire attention dans les lieux bondés ou dans des conditions presque fermées, comme sur certaines terrasses. Pour être efficace, il faut surtout le porter correctement, en couvrant le nez.
Certains disent que l’épidémie est finie. Et vous?
Cela me fait un peu sourire. J’ai souvent entendu ce refrain, mais cela ne s’est jamais encore produit. Des restrictions persistent, un nouveau variant plus dangereux peut émerger… On est encore en phase pandémique, et on n’a pas de preuve pour dire que cette vague sera la dernière.
Le virus est-il en passe de devenir endémique?
Ce sera le cas lorsqu’il circulera sur le modèle de la grippe qui revient chaque hiver, avec des flambées ponctuelles. C’est un scénario envisageable. Une des possibilités pour en arriver là serait que nous ayons superposé assez de “couches” d’immunité, par l’exposition au virus et grâce au vaccin, pour protéger la population des formes graves. Seuls les plus fragiles arriveraient alors à l’hôpital. En combien de temps ce scénario se met en place? Deux mois, deux ans? Aucun modèle mathématique ou historique ne le dit. La voie pour atteindre cet objectif n’est pas claire et nette comme une piste olympique. Elle ressemble plutôt à un parcours de trail, avec éventuellement plusieurs obstacles sur le chemin.